Les territoires du marché de l'art
Le monde de l’art est un marché au sens où il est « le lieu abstrait où se confrontent une offre et une demande pour aboutir à des échanges aux prix de marchés » (Beitone, Cazorla, Dollo, et al, 2007). Parler de territoires du marché de l’art semble paradoxal d’après cette définition. Les territoires où s’expriment et se construisent les mécanismes du marché de l’art méritent d’être étudiés : galeries, foires, maisons de ventes.
Approprié par les sociologues, les historiens de l’art, et les économistes, le marché de l’art n’en possède pourtant pas moins des dimensions géographiques et géopolitiques. La sociologie de l’art (Moulin, 1995, 2000 ; Moureau, Sagot-Duvauroux, 2010 ; Quemin 2001, 2013) s’est appropriée le sujet en abordant notamment les galeries d’art dans leur rapport à la ville et leur mobilité spatiale. Une équipe de recherche pluridisciplinaire Artl@s travaille depuis 2009 au sein de l’ENS (Ulm) sur la circulation des courants artistiques. Les dimensions techniques et pratiques liées au transport et stockage des œuvres ne sont pas abordées. Se plaçant dans une tradition néo-marxiste et la géographie critique, les nombreux travaux sur les galeries d’art soulignent les enjeux liés à l’appropriation du sol, et la valorisation des espaces urbains (Molotch, Trekson, 2009). La géographie francophone a souvent considéré le marché de l’art comme un élément de contexte pour expliquer les mouvements de revitalisation urbaine à travers l’installation de galeries d’art (Grésillon, 2008, 2011). La thèse en cours d’achèvement de Christine Ithurbide sur la géographie de l’art contemporain en Inde va permettre d’aborder le marché de l’art autour de la redéfinition des rapports centre/périphérie (Iturbide, 2012).
Artprice[1] affirme en effet qu’en 2015 l’Asie pèsera au minimum 70 à 75% du marché de l’art. L’entrée de pays non-occidentaux dans le marché de l’art a modifié la répartition des places motrices de la vente d’œuvres notamment. Ce changement d’équilibre spatial annonce-t-il la fin de l’hégémonie occidentale dans le marché de l’art et l’installation d’un marché concurrent ? Artprice fait état en 2011 de « la grande mutation de l’année et du renversement géopolitique d’Ouest et Est du marché de l’art» (Artprice, 2011 : 9). Ainsi comment la structure spatiale des territoires du marché de l’art reflète t-elle un changement de paradigme ?
Les mutations spatiales du marché de l’art à l’échelle urbaine et mondiale conduisent à mettre en avant les nouveaux ressorts du marché de l’art et la recherche d’une certaine proximité. Les lieux d’exposition et de ventes sont des émanations d’un système économique à analyser dans son fonctionnement réticulaire.
- Les mutations spatiales du marché de l’art
- Nouveaux clients, nouvelles pratiques
Désormais l’art n’est plus recherché pour sa dimension esthétique mais pour le prestige social qu’il apporte. Le basculement du marché de l’art vers l’Asie (création de maisons de ventes, foires, galeries) a introduit de nouveaux clients élargissant ainsi le réseau des méga-collectionneurs. Le développement du marché asiatique est concomitant de la croissance des investissements en art. Les collectionneurs américains dominaient le marché jusqu’en 2006 selon Artprice. Le nombre de millionnaires a augmenté de 20,5% en Inde en 2006 et 7,8% en Chine. Leur influence sur la valeur économique augmente mais ne disposant ni du capital culturel nécessaire ni des moyens institutionnels, peu arrivent finalement à être reconnus comme collectionneur (Moureau, Sagot-Duvauroux, 2010 ; Choron-Baix, Mermier, 2012). Être collectionneur signifie appartenir au réseau du monde de l’art et avoir un impact sur la structure géographique du marché -localisation des foires (Fig 1).
En Chine, il paraît de plus en plus normal dans la grande bourgeoisie de posséder des œuvres d’art comme critère de distinction sociale. Les raisons sociales et financières poussant les vieilles fortunes et la haute bourgeoisie des BRICS à collectionner sont fournies en sociologie par la distinction de plusieurs types comportementaux (Moureau, Sagot-Duvauroux, 2010).
Comportement |
Raison |
Conséquences |
« Effet de Veblen » |
Renforcement d’une position sociale |
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« Effet snob » |
Volonté de distinction |
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« Effet d’entrainement » |
Intégration au réseau |
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Réalisation par l'auteur Source : Moureau, Sagot-Duvauroux, 2010
Fig 1- Classification sociologique des comportements des collectionneurs
L’ « effet snob » caractérise l’Asie selon Artprice. L’art est désormais un actif entrant dans la diversification des portefeuilles. « Pour quelques gros acheteurs en quête de labels, acheter à un grand galeriste mondialement reconnu revient en substance à acheter chez Vuitton, Prada ou Chanel » (Arprice, 2011 : 15). Chaque collectionneur est au cœur d’un réseau international complexe (galeristes, conservateurs et artistes) qui permet de mettre en valeur les coulisses financiers et politiques de la production artistique.
L’émergence du marché de l’art en Asie montre la translation de valeurs et de schémas de commercialisation occidentaux (structuration autour de galeries, de maisons de ventes et de foires) même si des maisons de ventes indiennes par exemple comme Osian –créée en 2000- ou bien Saffronart se développent et possèdent des clients dans 32 pays dont certains en Europe et aux Etats-Unis (Ithurbide, 2012).
- La mobilité des galeries d’art
Peut-il y avoir des territoires durables pour le marché de l’art ? La mobilité des galeries d’art est nécessaire pour accroître leur durée de vie. A partir de méthodes quantitatives, les chercheurs en politiques publiques Schuetz et Green (2014) montrent que certains critères sont irréductibles comme celui de se localiser à proximité d’un lieu de pouvoir ou d’un musée. La valeur symbolique du lieu est transférée aux œuvres exposées[1]. Dans les pays nouvellement intégrés au marché de l’art, les pratiques sont les mêmes. A Mumbai, en s’associant les galeries d’art ont réhabilité un ancien quartier industriel près du centre historique et des musées (Ithurbide, 2012).
En raison d’un foncier trop élevé, les galeries d’art petites et moyennes se localisent à proximité des artistes. Cette contrainte met en évidence les moyens élevés des galeries-leaders au rayonnement international ayant des artistes établis (Moulin, 1995) et ceux des galeries montantes présentent des artistes émergents dont la valeur n’est pas encore fixée. Le loyer compte pour toutes les galeries de Manhattan en moyenne 38% de ses revenus (Molotch, Trekson, 2009).
A New-York jusqu’en 1950, les territoires du marché de l’art se réduisent à Upper East Side et Midtown à proximité des musées et des services financiers (Wall Street) qui conservent leur place à l’échelle urbaine et mondiale (Schuetz, Green, 2014). Le galeriste multiplie ses lieux d’exposition comme Gagosian qui possède à New-York cinq galeries afin d’accroître sa visibilité. La courbe de croissance d’un quartier de galeries d’art est rapide et sa décroissance lente et faible. En 1990, il n’y avait que 16 galeries d’art le quartier de Chelsea contre 275 à Soho et en 2007, on en compte 303 à Chelsea et seulement 104 à Soho. Les galeries en quête de nouveaux territoires se localisent dans des quartiers urbains à hauts revenus avec de forts loyers, une population blanche dont les pratiques s’accordent avec les produits de luxe (Schuetz, Green, 2014). Bien que les galeries d’art soient mobiles, leurs territoires restent comparables sociologiquement.
La recherche de nouveaux territoires révèle le besoin d’une visibilité maximale transcontinentale depuis l’arrivée de nouveaux types collectionneurs (Entreprises, Fonds d’investissement). La carte ci-dessous permet de voir l’ampleur de la présence mondiale de trois galeries-leaders.
- Uniformisation des stratégies de localisation
Face au manque de place et aux exigences de connexion permanente au réseau, ces galeries-leaders se localisent dans d’anciennes friches industrielles (Soho, Chelsea, Pantin) à proximité d’axes de communication fréquentés par les membres du réseau. A Paris, les galeries Ropac et Gagosian se sont installées en 2012 de l’autre côté du périphérique à Pantin et au Bourget dans d’anciens locaux industriels réhabilités dans un but ostentatoire (Molotch, Trekson, 2009). Un phénomène de gentrification se met en place, entrainant la hausse des loyers de 600% et limitant l’accès à quelques galeries privilégiées. L'installation de galeries-leaders dans l'enceinte d'aéroports privés révèle un changement de paradigme et l’accès réservé à un public restreint (Launay, 2014). La stratégie mise en place est désormais de s’ouvrir aux nouveaux collectionneurs, et aux grands patrons asiatiques ou venant des pays du Golfe de passage en Europe.
En Inde depuis 1999, d’anciens locaux industriels ont été reconvertis autour des gated communities où se trouvent des clients potentiels (Ithurbide, 2012). D’autres investissent des espaces dégradés plus grands, moins chers et très bien connectés au centre par le réseau de transport. Par exemple, la galerie Bose Pacia déjà présente à New-York, Berlin a choisi d’ouvrir dans une ancienne zone industrielle à Kolkata (Ithurbide, 2010). Ainsi, l’art contemporain participe à la revalorisation de ces quartiers et à l’évolution des représentations, jouant alors un rôle modernisateur de territoires urbains.
- Spécialisation de l’art par macro-région
L’uniformisation des pratiques ne concerne pas la vente d’œuvres. Les données des maisons de ventes illustrent la spécialisation de certaines villes du marché de l’art. La complémentarité de Paris et Londres ou bien la concurrence de Genève et Hong-Kong révèle le rayonnement variable de chaque ville.
Lieu de vente |
Londres |
Paris |
New-York |
Genève |
Hong-Kong |
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Maisons de vente |
Ch |
So |
Ch |
So |
Ch |
So |
Ch |
So |
Ch |
So |
Photo |
0 |
0 |
26% |
17% |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Vin |
0 |
8% |
13% |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
10% |
0 |
Collections privées |
19% |
8% |
35% |
17% |
0 |
31% |
0 |
0 |
0 |
25% |
Bijoux Horlogerie |
9,5% |
0 |
13% |
0 |
0 |
0 |
50% |
100% |
20% |
50% |
Fine arts |
9,5% |
67% |
0 |
0 |
48% |
38% |
0 |
0 |
20% |
25% |
Art moderne et art contemporain |
12% |
17% |
0 |
17% |
36% |
31% |
50% |
0 |
20% |
0 |
Livres Manuscrits |
12% |
0 |
0 |
17% |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Autres (céramiques, mobilier, sculptures) |
38% |
0 |
13% |
32% |
16% |
0 |
0 |
0 |
30% |
0 |
Réalisation par l'auteur Source : Christie’s et Sotheby’s
Fig 2 - Résultats des ventes par type d’objet et par lieu (en pourcentage) en novembre 2014 chez Christie’s (GB) et Sotheby’s (USA)
Berceau de l’horlogerie et de la haute-joaillerie, Genève le demeure à l’échelle européenne. En Asie, Hong-Kong s’impose comme relais des ventes. Paris occupe la première place pour les ventes de vin et Londres se spécialise dans la vente de livres anciens, manuscrits ainsi que la céramique (Fig 2). Les territoires de vente réservés à chaque type d’objet sont-ils le fruit de stratégies managériales de la part des dirigeants des maisons de ventes ou bien le produit d’une fluctuation de la demande ?
Si la Chine fournit 35% des recettes des maisons de ventes en Fine Art, celles-ci se réalisent dans les maisons de ventes occidentales. Le marché n’a pas encore totalement migré vers l’Asie ; ce sont ses financements qui en proviennent. Enfin, le nombre de ventes à Hong-Kong de la maison anglaise Christie’s (10) est plus élevé dans cet ancien comptoir britannique que celui de l’américaine Sotheby’s (4). De même, l’art indien prend de la valeur grâce à son passage par les maisons de ventes londoniennes grâce au réseau d’une part mais également à la diaspora (Ithurbide, 2012). Les résultats des ventes montrent que Paris et Londres restent des pôles de pouvoir. Les réseaux du marché de l’art sont connectés aux réseaux de l’archipel mégalopolitain mondialisation. Les spécialisations de chaque ville sont intimement liées à son passé.
2/ La recherche de la proximité avec les œuvres d’art
La mondialisation renforce l’affirmation d’une corporation de marchands d’art. Ils se regroupent en clusters définis comme « groupements d’entreprises de sous traitants et d’institutions géographiquement proches qui collaborent dans un même secteur d’activité, une même filière et dont l’objectif est de travailler en synergie afin de favoriser l’innovation et la compétition » (Debroux, 2013 : 42). Ces clusters peuvent être centraux, périphériques, permanents ou nomades.
- Organisation en district urbain
Le succès des ventes en ligne fragilise l’existence des galeries physiques. La Chine, favorable au développement des e-ventes, encourage ce phénomène. Étant les premiers investisseurs en art, leur vision du monde oriente l’avenir de tous les galeristes. L’organisation en district permet alors aux galeries de peser davantage et d’être plus visiblse. A Dehli, en l’absence de centralité, l’art se vend lors d’événements organisés dans des hôtels de luxe (Ithurbide, 2012).
La concentration spatiale des galeries d’art s’explique par leur participation à l’économie d’agglomération et l’accès aux ressources et infrastructures. Loin de créer de la concurrence par leur très forte spécialisation, la concentration des galeries est bénéfique. L’effet cluster permet d’augmenter le nombre de visiteurs pour l’ensemble des galeries (Schuetz, Green, 2014). L’étude quantitative réalisée par les chercheurs Schuetz et Green s’appuient sur une base de données constituée à partir des adresses des galeries d’art dans l’annuaire entre 1970 et 2003 à Manhattan. A partir du calcul de l’indice du plus proche voisin en mesurant la distance moyenne de chaque galerie avec les cinq plus proches, ils en déduisent le degré de clusterisation. Celui-ci s’échelonne de 0 (même adresse) à 1 (très éloigné). Cette méthode montre la constance du phénomène au cours du temps. La plupart des galeries d’art sont de petites structures ayant moins de 4 employés (76%) et l’on dénombre à Manhattan seulement 2% de galeries stars (Schuetz, Green, 2014). Il y a donc une véritable hétérogénéité des galeries dans un cluster. Ce sont ces galeries-stars qui font partie intégrante du marché de l’art orientent la trajectoire spatiale des autres. Leurs logiques de localisation ont été vues en amont ; l’implantation de la galerie Ropac à Pantin a un effet stimulant pour des galeries de moindres importances. Chelsea et Soho constituent les deux clusters de galeries d’art largement travaillés par les géographes et urbanistes (Schuetz, Green, 2014 ; Molotch, Trekson, 2009). Le cluster permet la complémentarité entre les différentes secteurs du monde de l’art (Becker, 1988 ; Molotch, Trekson, 2009) ; ce territoire est la manifestation spatiale de réseaux d’acteurs. Il est donc par définition plus bourgeois que bobo (Schuetz, Green, 2014).
Certaines villes aux Etats-Unis ont mis en place des « Arts districts » offrant des avantages financiers pour les activités artistiques. Les politiques publiques planifient la localisation dans ses zones spécifiques comme stratégie de développement économique. Dans les pays émergents, les territoires du marché de l’art sont le produit d’acteurs privés alors qu’en Europe et aux Etats-Unis, ils sont le résultat de connivences entre privé et public (Moulin, 1992).
- La foire au cœur des réseaux du monde de l’art
Les foires se développent en milieu des années 1970 dans les villes périphériques du marché de l’art comme Bâle, Cologne ou Bologne (Morgner, 2014). Les capitales du marché de l’art comme New-York et Londres rassemblent quelques décennies plus tard des foires d’art considérées comme secondaires (dessins, aquarelles, manuscrits). Depuis les années 1990 et surtout les années 2000, les foires se multiplient devenant des lieux de création de la valeur. Chacune rassemble sur une courte période des galeristes à la manière d’un cirque nomade et éphémère qui déménage chaque semaine. Elles accentuent la fragilité de la galerie physique et met en péril l’impact de son enracinement géographique. La multiplication des foires à partir de 2007 n’a pas entrainé auprès des galeries de découpage géographique. Certes il est plus facile d’être sélectionné par le comité dans une foire proche mais la participation repose sur le concept d’ « homophilie » autour du statut des artistes, leur âge et leur nationalité (Yogev, Grund, 2012). Seul, un petit nombre de foires rassemblent les acteurs les plus influents du réseau Bâle, Venise, Miami pour l’art contemporain. La vente d’art contemporain nécessite des stratégies de temps court pour qu’une œuvre prenne rapidement de la valeur. Cela implique d’emblée une dimension internationale marquée (Schumpeter, 1955). Les stratégies sont fondées sur un espace sociologiquement et géographiquement étendu (Quemin, 2001). « Quelque soit le pays d’appartenance tous les acteurs du monde de l’art (contemporain) fréquentent les mêmes lieux sans aucun soucis de frontière géographique » (Quemin, 2001 : 93).
A partir des travaux de Christian Morgner, on voit se constituer deux types de réseaux. Le réseau interne regroupant des exposants et le réseau des collectionneurs, curateurs, critiques –réseau externe. Dans les foires, côte à côte se retrouvent des galeries très intégrées et similaires et de l’autre un club de galeries moyennes aspirant à appartenir au réseau intégré. Les foires sont le territoire par excellence du réseau du marché de l’art car il en est le lieu de constitution. Le marché même s’il s’ouvre à l’Asie est largement dominé par les foires annuelles du duopole Europe-Etats-Unis. Non seulement le nombre de foires y est largement plus élevé mais la fréquence également. Les foires favorisent l’élitisation du marché de l’art car un petit noyau de collectionneurs se retrouve aux différentes manifestations pour conclure des affaires en tout genre.
- Proximité affective des marchands et des artistes à l’échelle régionale
Des pôles régionaux –voir mondiaux- sont ressortis de l’analyse des résultats de Christie’s et Sotheby’s pour le mois de nombre 2014. Si on combine de manière différente les données, on verra apparaître une très forte proximité géographique entre le lieu de production et son lieu de vente . À New-York, 55% des œuvres vendues proviennent des Etats-Unis et que 100% des objets vendus à Genève viennent de France ou de Suisse. Enfin Hong-Kong vend presque exclusivement des objets provenant d’Asie. Maintenant qu’une demande existe en Asie, Londres perd-t-elle sa place comme pôle régional des ventes d’art asiatique en Europe ou est-ce que Londres se constitue au contraire comme relais de vente d’art asiatique pour l’Europe ? La réponse peut s’obtenir par une comparaison sur le temps long de la part de l’art asiatique dans les ventes à Londres.
Puisque la plupart des investisseurs en art suivent « l’effet snob », les biens les plus chers appartiennent de manière prévisible par des ressortissants de pays où se trouve la plus forte concentration de milliardaires (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Chine).
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Grande-Bretagne |
Chine |
États-Unis |
France |
Suisse |
Londres |
19% |
10% |
0 |
0 |
0 |
Hong-Kong |
0 |
23% |
0 |
8% |
8% |
New-York |
0 |
0 |
55% |
0 |
0 |
Paris |
0 |
0 |
0 |
44% |
0 |
Genève |
0 |
0 |
0 |
33% |
67% |
Réalisation par l'auteur Source : Christie’s Novembre 2014
Fig 3- Ville de vente en fonction de la provenance des œuvres en novembre 2014 (en pourcentage)
La proximité entre deux maisons de ventes (comme Paris et Londres) n’entraine paradoxalement pas de préférences à vendre des œuvres de proximité. Seul 19% des œuvres d’art vendues chez Christie’s Londres en novembre 2014 proviennent de Grande-Bretagne. Cela s’explique par la grande variété des produits qui y sont proposés. À l’inverse, à Genève, 67% des produits vendus proviennent de Suisse. Les raisons de ce résultat sont historiques. La Suisse s’est spécialisée dans la vente quasi-exclusive de bijoux et de montres.
Dans le détail apparaît une spécialisation régionale. Le marché de Londres s’est concentré dans les arts russes et la grande majorité des produits vendus à New-York proviennent d’Amérique du Nord. Les types de produits vendus à New-York sont en grande majorité de l’art moderne et contemporain américain et en provenance d’Europe des impressionnistes français et anglais.
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Europe occidentale |
Europe orientale |
Asie |
Amérique latine |
Amérique du Nord |
Londres |
81% |
8% |
11% |
0 |
0 |
Hong-Kong |
31% |
0 |
69% |
0 |
0 |
New-York |
33% |
0 |
0 |
11% |
56% |
Paris |
100% |
0 |
0 |
0 |
0 |
Genève |
100% |
0 |
0 |
0 |
0 |
Réalisation par l'auteur Source : Christie’s Novembre 2014
Fig 4-Provenance des objets vendus dans les principales maisons de Christie’s (en pourcentage)
Un étude quantitative sur les liens entre origine de l’artiste et lieu de vente réalisée à partir d’un classement des 1.231 artistes exposés dans les galeries d’Amsterdam montre que 39,1% sont nés aux Pays-Bas et 43% des artistes exposés à Berlin sont nés en Allemagne révélant ainsi un « home biais » (Velthuis, 2013). En France, les acquisitions des FRAC concernent pour 60% des artistes originaires des Etats-Unis, d’Italie, Angleterre, Allemagne ou Suisse (Quemin, 2001). Malgré la mondialisation et l’ouverture apparente du marché de l’art aux artistes indiens ou chinois, la proximité affective et référentielle est fondamentale. Puisque les galeries les plus petites sont les plus nombreuses et que les galeries-leaders exposent un nombre restreint d’artistes établis, les galeries de taille moyenne à très petite exposent des artistes de proximité tandis que les galeries leaders se tournent davantage vers l’international. En 2012, la galerie Ropac présente seulement 6% d’artistes français.
La vente d’art venu de pays éloignés comme les céramiques chinoises vendues chez Christie’s (Fig 4) à Londres est une forme d’orientalisme pour certains (Choron-Baix, Mermier, 2012). La validation de l’art par l’espace aurait remplacé la validation par le temps avec l’avènement de l’art contemporain (Quemin, 2001). La construction de la valeur des artistes des pays émergents se réalise de toutes façons aux Etats-Unis et en Europe où paradoxalement leur visibilité est restreinte ; le haut du classement annuel du Kunstkompass est tenu invariablement entre 1970 et 2005 par des artistes occidentaux (Velthuis, 2013). La mondialisation du marché de l’art entraine une translation de fonctionnement occidentaux dans un système complet qui pourrait fonctionner de manière autonome et émancipée (Choron-Baix, Mermier, 2012). La Chine et l’Inde possèdent en effet des artistes, des collectionneurs et des maisons de ventes établies.
Conclusion
Périphériques puis centrales dans la construction de la valeur des œuvres d’art contemporain notamment, les villes accueillant la biennale de Venise ou Art Basel sont devenues incontournables. Le label s’exporte. Après Art Basel Miami, Art Basel Hong-Kong a été créée. Finalement, on ne peut réellement parler de centre ou de périphérie mais de points d’ancrage dans un réseau. Les territoires du marché de l’art sont mis en réseau par la circulation des marchands, collectionneurs et critiques.
Le marché de l’art est en recherche de nœuds. L’importance croissante des foires et la dématérialisation du marché entrainent un regroupement en quelques points stratégiques comme des places financières, des nœuds de communication, de carrefours entre les différentes foires. Le développement des ports-francs comme lieu de stockage sécurisé pour les objets d’art illustre ce mouvement. Présentes en Suisse, au Luxembourg, à Monaco, Singapour et bientôt Pékin, ces zones franches logistiques rassemblent tous les membres du réseau du marché de l’art permettant autant la vente, que la restauration ou la conservation des œuvres. Les œuvres de moins en moins visibles par le public avec l’essor des ventes en ligne ne sont vues que par les collectionneurs. La valeur de l’œuvre ne se construit plus par sa visibilité mais par le réseau qui l’entoure. Ce changement de paradigme transforme l’œuvre d’art en un bien immobile, protégé, gardé dans des entrepôts qui s’avèrent être des outils facilitant la financiarisation du marché. Les ports-francs ne seraient-ils pas les nouveaux territoires appartenant au réseau du marché de l’art ?
[1] Les œuvres de Jeff Koons exposées dans la galerie des Glaces à Versailles ont obtenu une légitimité supplémentaire
[1] Leader mondial de l’information sur l’art